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Les métiers intellectuels ont peu d’attrait pour les cinéastes français·es, et les étudiantes sont plus représentées dans leurs histoires sentimentales que comme des travailleuses, tant à l’université que dans les petits boulots qui leur permettent de poursuivre leurs études. Il semble que le mariage soit leur horizon indépassable, tout comme une intelligence limitée, qui ne leur permet pas de s’intéresser à leurs cours. Sauf si elle n’a pas un physique de rêve, puisqu’une étudiante intéressée par ses études ne peut être que laide, donc bas-bleue, intello, vieille fille (aucune mention n’est à barrer).
Cette représentation patriarcale et classiste – dont un des pires exemples restera à jamais le feuilleton Hélène et les garçons (Jean-François Pory, 1992-1994), ex-æquo avec L’Auberge espagnole (Cédric Klapisch, 2002) – est parfois battue en brèche, au moins dans sa partie travail, intelligence et beauté.
Outre une rapide mention dans Lui (Guillaume Canet, 2021), où la maîtresse du personnage principal (Guillaume Canet) est jouée par Laetitia Casta et où elle déclare être titulaire d’un doctorat en Lettres, il y a Camille (Agnès Jaoui) dans On connaît le chanson (Alain Resnais, 1997) et Dominique dite Do (Hélène de Fougerolles) dans Va savoir (Jacques Rivette, 2001).
La persona de ces trois actrices est un mélange de beauté physique et d’intelligence, les spectateurs et les spectatrices les attendent dans des rôles de femmes qui ont un cerveau. C’est le cas dans Lui, où la maîtresse ne s’en laisse pas compter par son amant et fait alliance avec l’épouse (Virginie Efira). On reste cependant dans le domaine sentimental, uniquement.
Le doctorat de Do et de Camille est pris plus au sérieux. Do, jeune bourgeoise, planche à la bibliothèque parisienne de l’Arsenal et chez elle, elle écrit et dessine pour son sujet consacré au péplum tourné en Italie et aux États-Unis et à l’Antiquité gréco-romaine (cinéma et Lettres classiques). Ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, de tomber amoureuse d’un séduisant metteur en scène italien (Sergio Castellitto), un peu plus âgé qu’elle. De l’art d’aller jusqu’au bout de son sujet, en l’actualisant un tant soit peu… Pour Hélène de Fougerolles, ce rôle est le prolongement de celui de Christine, la lycéenne déléguée de classe du Péril jeune (Cédric Klapisch, 1994), qui faisait honte de leur paresse au groupe de petits mecs héros du film, et qui n’était donc pas béate d’admiration devant leurs bêtises, sans pour autant faire partie de la bande de militantes féministes de leur établissement scolaire.
Le sens de la répartie ne fait pas non plus défaut à Camille, qui, agacée par l’incompréhension abyssale de Nicolas (Jean-Pierre Bacri), ami de sa sœur Odile (Sabine Azéma), devant son sujet de thèse en histoire médiévale : «Mais pourquoi t’as choisi ce sujet ?», lui répond frontalement : «Pour faire parler les cons.» Un très très grand merci au tandem Jaoui-Bacri, également scénaristes, d’avoir écrit cet échange percutant, qui a vengé, venge, et vengera tant de doctorantes en Sciences humaines. Et qui, comme je l’ai expérimenté en distribuant cet extrait à des proches et amies, fait office de catharsis, en provoquant un rire salvateur. Tout au long du film, Camille est montrée comme prenant sa thèse très au sérieux, tout en se questionnant sur son utilité. Le public assiste à la fin de sa soutenance, ainsi qu’aux félicitations chaleureuses qu’elle reçoit de sa famille – et même de son petit ami Marc (Lambert Wilson), un salaud ordinaire (voir pourquoi dans le film…), pour lequel la seule réponse aux multiples angoisses existentielles de Camille est un morceau de sucre. Ne manque à Camille que le collier et la laisse pour devenir la parfaite animale de compagnie de Marc.
Si Do est dans sa thèse, Camille parcourt les derniers mois de la sienne et la soutient, et la maîtresse de Lui est docteure. Ces trois films déroulent le spectre de la fin des études universitaires, les doctorantes et docteure étant jouées par des actrices au physique agréable et à la vive intelligence, déjà connues du public pour des rôles de femmes à l’esprit délié, de sujets et non d’objets. De quoi chasser, le temps de ces films, le poids du sexisme ambiant. Pas si mal.
Pour citer cet article : Tiphaine Martin, «Thésardes en film», Voyages autour de mon cerveau, décembre 2022. URL :https://vadmc.hypotheses.org/7375
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Le jeudi 14 octobre 1965, Simone de Beauvoir revient de Milan et rentre à Paris. A Joigny, dans l’Yonne(89),dansla région Bourgogne, elle perd le contrôle de son automobile et percute un camion de plein fouet. Le journal local, L’Yonne républicaine, publiedeuxarticles les 15 et 16octobre. Nous en avons parlé dans notre thèse « Les récits de voyagedans l’œuvre autobiographique de Simone de Beauvoir »1, avec les articles du journal,photographiés parnos soins aux Archives départementales de l’Yonne, que nouspublions ci-dessous :
15-10-1965, p. 1.
15-10-1965, p. 3.
16-10-1965, p. 1.
Extrait de notre thèse, sur le rapport de Beauvoir à la voiture, qu’elle a pris à conduire à plus de quarante ans, après la Seconde Guerre mondiale :
« Si Simone semble manquer singulièrement de la prudence la plus élémentaire, rappelons qu’à cette époque le code de la route n’obligeait à aucune limitation de vitesse, ni même au port obligatoire de la ceinture de sécurité1. Son manque de précautions est d’autant plus étonnant qu’elle avait été frappée par la mort tragique de Camus en voiture2. Notons qu’elle a un accident en octobre 19653 dans le même département qu’Albert Camus et Michel Gallimard cinq ans plus tôt: “À vingt-quatre kilomètres de Sens, sur la RN 5, entre Champigny-sur-Yonne et Villeneuve-la-Guyard (…). ”4pour Camus, “à l’entrée de Joigny” pour Beauvoir5. La folie de la vitesse touche tout le monde, puisque Sartre, qui ne conduit pas, exhorte sa compagne à gagner de vitesse les autres automobilistes, anecdote que l’autobiographe situe en 1952 sur les chemins de l’Italie du Nord6. La voyageuse prend toujours des risques. Cette insouciance est une constante de l’époque, puisque leurs amis Alberto Moravia et Carlo Levi parlent sans gêne des nombreux accidents de voiture qu’ils ont eus7. » (Op. cit., p. 416)
1 France, Le Code de la route, ordonnance et décret du 15 décembre 1958, décret du 9 janvier 1960 et arrêtés d’application au 15-8-60, Paris, Éditions S.O.S.P., 1960.
2Simone de Beauvoir, LaForce des choses II, Paris, Gallimard, « Folio », 1999, p. 276-278.
3 Simone de Beauvoir, Tout compte fait, Paris, Gallimard, « Folio », 1998, p. 339.
4 Olivier Todd, Albert Camus : une vie, Paris, Gallimard, « Folio »,1999, p. 1036.
5 Anonyme, «Simone de Beauvoir échappe à la mort à l’entrée de Joigny», L’Yonne Républicaine, N°240, vendredi 15 octobre 1965, p. 1.
6 Simone de Beauvoir, LaForce des choses II, op. cit., p. 11.
7 Simone de Beauvoir, LaForce des choses II, op. cit., p.209-210.
Comme indiqué dans l’article de L’Yonne républicaine du 16 octobre, Simone de Beauvoir a été hospitalisée à l’hôpital de Joigny. Nos recherches personnelles ont abouti à la demande de consultation des archives hospitalières, ce qui n’a pas été possible. En revanche, l’archiviste, Madame Yoanna Guffroy, nous a communiqué le scanner du registre médical – consultable par n’importe qui vingt-cinq ans après le décès de la personne hospitalisée. Beauvoir étant décédée le 14 avril 1986, en 2021 nous sommes à trente-cinq ans de sa mort :
Registre médical Beauvoir.
Voici ce qui est écrit :
« Dr M 14/10/65 Madame Simone de Beauvoir clinique
11bis rue Schœlcher
1°/ Suture et purged’une plaie de la face antérieure du genou G[auche].
avec gr[os] décollement cutanée mais sans atteinte articulaire.
BiozageMOTS ILLISIBLES nylon sur la peau.
2°/ Suture d’une petite plaie de la paupière supérieureG[auche]. 1 fil.»
Interrogée sur l’identité du médecin, Madame Guffroy nous a répondu qu’il pouvait s’agir soit du docteur André Mercier, soit du docteur Charles Ménage.
Déchiffré, le registre médical se lit ainsi :
« Dr M 14/10/65 Madame Simone de Beauvoir clinique
11bis rue Schœlcher
1°/ Suture et purged’une plaie de la face antérieure du genou G[auche].
avec gr[os] décollement cutanée mais sans atteinte articulaire.
Biozage Pénisulfa. Nylon sur la peau.
2°/ Suture d’une petite plaie de la paupière supérieureG[auche]. 1 fil.»
La troisième phrase peut se développer comme suit : brûlure due au frottement du bas nylon.
Nota bene : le Biogaze était une compresse imprégnée d’un produit gras et sert pour les brûlures. Le pénisulfa étaitune poudre blanche à mettre sur les plaies pour éviter les infections (anti-microbien) à base de pénicilline et de sulfamides.
Nous tenons à remercier Madame Guffroy, ainsi que Madame Bruleaux et Madame Cros, des Archives départementales de l’Yonne, pour leur aide précieuse et leurs indications juridiques. Devifs remerciements à Denis Martin et à Yvan Ségui pour leur aidedansledéchiffrementdu registre médical etleursprécisions médicales.
Tiphaine Martin
1Tiphaine Martin, «Les récits de voyage dans l’œuvre autobiographique de Simone de Beauvoir», sous la direction de laProfesseure Julia Kristeva, Université Paris Diderot-Paris 7 et duDocteur Éric Levéel, Université de Stellenbosch (Afrique du Sud), 2012.
Pour citer cet article : Tiphaine Martin, « Simone de Beauvoir à Joigny», Voyages autour de mon cerveau, mars 2021. URL : https://vadmc.hypotheses.org/?p=1165
1 réponse
Ce guide a pour but de te guider, toi la doctorante, toi le doctorant, à travers la jungle thésardienne.
A) Conseils pratiques, la rédaction :
1) Faire un plan de la thèse (chapitres et sous-chapitres) :
- classer ses idées du plus général au plus spécifique
- classer ses idées du plus théorique au plus thématique
- lister ses exemples (citations, témoignages) pour chaque idée.
Pas de panique, ton plan général va changer environ dix fois au cours de ta thèse. Normalement, ta/ton directeur·trice de thèse te laisse un an pour écrire un premier plan. Les tâtonnements sont normaux, dans ce premier jet, ainsi que pendant la thèse. Mais il faut commencer par là. Malheureusement, tu n’es pas un·e poète de l’époque romantique, avec une Muse ou un Museau qui te souffle l’inspiration de trente pages impeccables par jour.
2) Faire un plan pour chaque partie et chaque sous-partie :
- reprendre en petit la méthode du 1), puis :
- idée 1, exemple 1, analyse 1
- idée 2, exemple 2, analyse 2
- continuer jusqu’à la fin de la partie/de la sous-partie.Je conseille de bonnes listes de morceaux de musique pour stimuler la concentration (avec un casque hein ! Tu es quelqu’un·e de bien, tu sais que les autres autour de toi n’ont pas forcément les mêmes goûts musicaux que toi).
Je conseille de bonnes listes de morceaux de musique pour stimuler la concentration (avec un casque hein ! Tu es quelqu’un·e de bien, tu sais que les autres autour de toi n’ont pas forcément les mêmes goûts musicaux que toi).
3) Styler sa thèse :
- paragraphes courts
- faire des phrases COURTES : oui moi aussi j’aime Proust, mais je ne suis pas lui
- les virgules, ça existe en français, donc tu rythmes ta phrase avec, de manière régulière, sinon ton lectorat jette le fichier à la corbeille
- si tu commences à écrire à la troisième personne (« nous »), tu continues ; pas d’hésitation entre « nous », « on» et « je »
- vocabulaire technique oui, charabia et vacuité des idées non.
Et tu t’inscris dès la première année de thèse à un atelier d’écriture ! Il y en existe en ligne et en vrai, pour toutes les bourses. Taper « atelier d’écriture » + nom de ta ville/ton département.
4) Conversations et relectures :
- parler de sa thèse avec des spécialistes
- parler de sa thèse avec des non-spécialistes (en évitant la surdose cf. Carnets de thèse de Tiphaine Rivière)
- se faire relire par un·e proche (évite ta compagne/ton compagnon tout de même, le but n’est pas de te retrouver célibataire si tu es en couple)
- quand tu envoies un chapitre de ta thèse à quelqu’un·e, mettre Nom du document_INITIALES PRÉNOM ET NOM ; pareil pour ta ton relecteur·trice : Nom du document_INITIALES PRÉNOM ET NOM
- quand tu envoies un chapitre de ta thèse à quelqu’un·e, tu l’as relu et tu as éliminé les coquilles (espaces en trop, éventuelles fautes de frappe/d’orthographe) : respect à la correctrice, au correcteur
- ne pas oublier qu’un mail, c’est : formule de politesse ; texte du message, relu et orthographié correctement ; phrase type* : «Sauf urgence explicite, ce message n’appelle ni traitement ni réponse en dehors des horaires de travail, pendant le week-end ou en période de congés. » ; formule de politesse ; signature
- se rappeler que les relecteurs et relectrices ont une existence aussi, donc ne pas passer en mode claquement de doigts/insistance déplacée
- se former sur les droits d’auteur·trice (document papier, internet et images)
- faire un cours de théâtre pour avoir une diction claire et agréable, le public, universitaire ou non, est là pour passer un moment agréable à t’écouter et non pour jouer à CandyCrush
- être présent sur Linkedin, Twitter, Facebook.
La thèse est un exercice pédagogique, d’où l’importance des échanges avec les deux publics, celui qui connaît très bien ton champ d’étude et celui qui le découvre. Ces conversations te permettront de clarifier tes idées et de les rendre accessibles hors de ton jury de soutenance.
* Merci à la maîtresse de conférence qui nous a autorisé à publier cette phrase type.
B) À côté de la thèse :
- publier une fois/an sur son sujet de thèse
- communiquer une fois/an sur son sujet de thèse dans un colloque, une journée d’études, une conférence
- communiquer une fois/an sur un autre sujet
- communiquer une fois/an sur son sujet de thèse dans une journée doctorale de son laboratoire
- faire attention qu’il y ait des actes au colloque auquel on participe
- ne pas hésiter à contacter les bibliothèques municipales, les médiathèques, les mairies, les universités pour tou·te·s (retraité·es), les écoles, collèges, lycées et grands écoles ; y donner une/ des conférences
- être présent·e dans l’annuaire de son laboratoire
- avoir sa page de CV sur le site de son laboratoire
- avoir une adresse mail de son université.
Le tout, pour :
- élargir ses domaines de recherches
- montrer qu’on est capable de parler sur une thématique différente
- confronter son écrit à des publics variés
- être visible dans le milieu universitaire
- élargir son réseau
- les sites Fabula et Calenda sont tes amisdans la recherche de colloques et de publications à venir.
C) Conseils pratiques, la vie au quotidien :
- éviter la solitude #tous et toutes en terrasse et au resto #vive les potes et les potesses #le sexe c’est bien aussi, quand c’est entre adultes consentant·es #les voyages forment la jeunesse
- se cultiver (livres, expositions, concerts, films, spectacles, sport, détente)
- penser que livres, dvd et cd sont empruntables et consultables dans les bibliothèques et médiathèques municipales et de recherche
- manger sainement : mmm… les légumes, les fruits, les galettes végétales, les œufs, l’eau plate, l’eau gazeuse et les jus de fruits non sucrés
- prendre trente/quarante minutes pour chaque repas + pour la pause café/thé de l’après-midi (pas plus d’une tasse de café/jour !)
- ne pas hésiter à aller consulter un·e psy : BAPU, gratuit pour les étudiant·es ; CMP, gratuit pourtou·te·s ;en cabinet, voir avec sa sécurité sociale quel·les spécialistes sont remboursés et à quelle hauteur.
Les années de thèse sont formidables, car elles augmentent radicalement tes savoirs et tes compétences. MAIS le risque est grand que tu te recroquevilles en position fœtale autour de ton ordinateur et que le reste du monde disparaisse, même si tu bosses comme un·e dingue pour trois centimes/jour au fast-food en bas de chez toi, pour payer ta thèse.Donc,
TU TE BOUGES !
Sur ce, à vous les studios et bon courage !
Tiphaine Martin
Pour citer cet article : Tiphaine Martin, « Guide du doctorat », Voyages autour de mon cerveau, octobre 2020. URL :https://vadmc.hypotheses.org/?p=662